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L'envers et l'endroit ...

26 mars 2013

"Labyrinthe de vivre"

Extrait de : Le Mythe d’Icare, Traité du désespoir et de la béatitude – Tome 1, de André Comte-Sponville

 

Courbet disait à ses élèves : « Cherche si, dans le tableau que tu veux faire, il y a une teinte encore plus foncée que celle-là ; indiques-en la place, et plaque cette teinte avec ton couteau ou la brosse ; elle n’indiquera probablement aucun détail dans son obscurité. Ensuite, attaque par gradations les nuances les moins intenses, en t’essayant à les mettre à leur place, puis les demi-teintes ; enfin tu n’auras plus qu’à faire luire les clairs… ». Cela vaut aussi pour la pensée. Il faut commencer par le plus sombre, chercher « le vide, et le noir, et le nu », et dégager progressivement la lumière. Car la nuit est première. On n’aurait pas besoin autrement de penser. Il faut commencer par le désespoir.

 

Cette « nuit obscure » de la pensée, c’est le silence. Il faut beaucoup de temps pour y atteindre, et beaucoup de courage. Car jeunesse est bavarde, par impatience, et vieillesse aussi, le plus souvent, par lâcheté. Il faut d’abord se taire, et rentrer en soi. Car la nuit est en nous, point ailleurs, et en nous aussi la lumière. Mais il faut commencer par la nuit, vide et vague, et y séjourner longtemps. Avant le premier jour et le premier matin, il y a l’infini des nuits. Avant le premier mot, l’éternité du silence.

 

Il faut commencer par la solitude. Les autres nous distraient, nous divertissent, et nous éloignent de l’essentiel. Nous-mêmes ? Non. L’essentiel est en moi, mais n’est pas moi. En moi (dans mon corps) : ce vide. Il faut commencer par ce vide. Il faut commencer par l’angoisse. Et que serait l’angoisse sans la solitude ? Les autres me donnent l’impression d’exister, d’être quelqu’un, quelque chose… Alors que la solitude, pour qui la vit sans mentir, me révèle mon néant, m’enseigne ma vanité, le vide en moi de ma présence. Vérité de l’angoisse. Je découvre alors que je ne suis rien, qu’il n’y a rien en moi à découvrir, rien à comprendre, rien à connaître, que ce rien même. Solitude et silence : la nuit de l’âme.

 

Il faut commencer par cette nuit. S’y arrêter. Affronter cette angoisse. C’est pourquoi beaucoup ne commencent jamais, et tournent en rond aux portes d’eux-mêmes. Bavardage et divertissement, jeux du sens et de l’illusion, tours et détours du monde et de l’âme : labyrinthe. Mais parfois certains s’en lassent. Il y a des jours, on ne supporte plus le bavardage. On s’arrête. Enfin le silence. Enfin la solitude. Et l’angoisse est là comme un grand miroir vide. Ainsi dans le labyrinthe, quand il eut longtemps couru, quand il eut traversé ces milliers de salles, de couloirs, quand il se fut tellement perdu dans tous ces tours et détours, dans tous ces coins et recoins, dans toutes ces sinuosités sans nombre, d’impasse en impasse, de faux-fuyant en faux-fuyants, et toujours les mêmes portes, toujours les mêmes murs, il y eut un moment sans doute où Icare, épuisé, à bout de forces et de courage, hors de souffle et d’espérance, comprit qu’il n’y avait pas d’issue, nulle part, que sa course était vaine et folle, tous ses efforts inutiles, et tout espoir illusoire. Alors il s’arrêta. Et je devine le bruit de son souffle, et ce silence en lui comme une mort. Ou peut-être il n’eut pas besoin de courir, connaissant d’avance le génie sans faille de son père… Qu’importe. Je l’imagine assis par terre, le dos contre un mur, la tête sur les genoux… Et soudain la sérénité étrange qui le saisit. L’angoisse qui s’annule à l’extrême d’elle-même. Le désespoir.

 

Commencer par l’angoisse, commencer par le désespoir : aller de l’une à l’autre. Descendre. Au bout de tout, le silence. La tranquillité du silence. La nuit qui tombe apaise les frayeurs du crépuscule. Plus de fantômes : le vide. Plus d’angoisse : le silence. Plus de trouble : le repos. Rien à craindre ; rien à espérer. Désespoir.

 

(Le désespoir – pas la tristesse. Et même : le désespoir contre la tristesse. Car la tristesse n’est jamais que la déception d’un espoir préalable. Et nul espoir qui ne soit déçu, qui n’ait son lot de tristesse et d’inquiétude. Pièges du temps. Labyrinthe de vivre. Alors que le vrai désespoir – s’il est possible – ne saurait être triste : sans quoi il ne pourrait qu’espérer la fin de sa tristesse, et s’annulerait dans cette contradiction. Si la tristesse est un état négatif, le désespoir, au sens où je le prends, est un état neutre. Il est le degré zéro de l’espérance. Rien de plus ; rien de moins. C’est une espèce d’état sans avenir [puisqu’il n’est pas d’avenir qui ne soit d’espérance], dont il s’agit précisément d’évaluer la possibilité et les conséquences. Le désespoir, c’est le présent lui-même. Autrement dit : l’éternité de vivre. Le mot pourtant me gêne quelque peu, je l’avoue, pour ce qu’il évoque d’apparemment négatif ou triste, pour ses connotations de mélancolie, de vague à l’âme ou, pour tout dire, de romantisme. Si j’avais le goût des néologismes, j’eusse volontiers utilisé celui d’inespoir, comme faisait Mounier, et en un sens assez proche : « non pas le deuil de l’espoir mais son constat de défaut… ». Car c’est un peu cela – ce constat – que je voudrais après d’autres penser ; jusqu’au bout, si c’est possible, c’est-à-dire jusqu’à sa limite, et jusqu’en cet extrême où la béatitude à son tour devient pensable. Mais ce mot d’inespoir ne s’est pas imposé. C’est d’ailleurs justice, car le désespoir, même le plus neutre, n’est jamais un état originel ; il suppose toujours la force préalable d’un refus. L’espoir est premier ; donc : il faut le perdre. Le dés-espoir indique cette perte, qui n’est pas d’abord un état, mais une action. Le désespoir vient toujours après. Il est l’oiseau de Minerve de l’âme, et son commencement. Ainsi, dans l’histoire des nombres, l’invention ultime du zéro. L’enfant, lui, croit d’abord au Père Noël…).

 

 …Descendre au plus bas, et puis remonter – si l’on peut. Mais il faut descendre. Parce que, dit Démocrite, « La vérité est au fond de l’abîme » .

 

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23 mars 2013

La vie est-elle une illusion ? (vous avez 4h pour répondre... plan dialectique et tout bien sûr)

                    Sinon, il y a la littérature ...


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Excerpt from chapter 8 : 

 "We went to the movie because you asked a question. The movie was the answer to your question.”

He was laughing at me, I knew it.

“What was my question?”

There was a long pained silence. “Your question, Richard, was that even in your brilliant times you have never been able to figure out why we are here.”

I remembered. “And the movie was my answer.”

“Yes.” [...] That was a good movie,” he said, “but the world’s best movie is still an illusion, is it not? The pictures aren’t even moving; they only appear to move. Changing light that seems to move across a flat screen set up in the dark?”

“Well, yes.” I was beginning to understand.

“The other people, any people anywhere who go to any movie show, why are they there, when it is only illusions?”

“Well, it’s entertainment,” I said.

“Fun. That’s right. One.”

“Could be educational.”

“Good. It is always that. Learning. Two.”

“Fantasy, escape.”

“That’s fun, too. One.”

“Technical reasons. To see how a film is made.”

“Learning. Two.” [...]

Whatever I came up with fit his two fingers; people see films for fun or for learning or for both together.

“And a movie is like a lifetime, Don, is that right?”

“Yes.” [...]

“Who writes these movies, Don?”

“Isn’t it strange how much we know if only we ask ourselves instead of somebody else? Who writes these movies, Richard?”

“We do,” I said.

“Who acts?”

“Us.”

“Who’s the cameraman, the projectionist, the theater manager, the ticket-taker, the distributor, and who watches them all happen? Who is free to walk out in the middle, any time, change the plot whenever, who is free to see the same film over and over again?” 

 Illusions, The Adventures of a Reluctant Messiah - Richard Bach

17 mars 2013

Anywhere out of the world

Any where out of the world

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    Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit.  Celui-ci   voudrait souffrir en face du poële, et celui-là croit qu'il guérirait à côté de la fenêtre.

    Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.

    «Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d'aller d'habiter Lisbonne ?  Il doit y faire chaud, et tu t'y ragaillardirais comme un lézard.  Cette ville est au bord de l'eau; on dit qu'elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu'il arrache tous les arbres.  Voilà un paysage selon ton goût; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir!»

    Mon âme ne répond pas.

    «Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante?  Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l'image dans les musées.  Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons?»

    Mon âme reste muette.

    «Batavia te sourirait peut-être davantage?  Nous y trouverions d'ailleurs l'esprit de l'Europe marié à la beauté tropicale.»

    Pas un mot. -- Mon âme serait-elle morte?

    En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal?  S'il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. -- Je tiens notre affaire, pauvre âme!  Nous ferons nos malles pour Tornéo.  Allons plus loin encore, à l'extrême bout de la Baltique; encore plus loin de la vie, si c'est possible; installons-nous au pôle.  Là le soleil ne frise qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant.  Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d'un feu d'artifice de l'Enfer!»

    Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: «N'importe où! n'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!»

 

Baudelaire, Petits poèmes en prose

 

 

 

18 février 2013

Romain Gary

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"Je voudrais aller très loin dans un endroit plein d'autre chose et je ne cherche même pas à l'imaginer, pour ne pas le gâcher. On pourrait garder le soleil, les clowns et les chiens, parce qu'on ne peut pas faire mieux dans le genre. Mais pour le reste, ce serait ni vu ni connu et spécialement aménagé dans ce but. Mais je pense que ça aussi ça s'arrangerait pour être pareil. C'est même marrant, des fois, à quel point les choses tiennent à leur place."

Romain Gary, La vie devant soi

(magnifique oeuvre - moi qui n'avait jamais lu Gary, je suis complètement conquise!)

 

 

12 février 2013

You MUST read

Beyond Culture, by Edward T. Hall

 

Here is an excerpt

" Today children are brought up on a different time system - one that is less obviously tied down in time and space, and to single institutions; there is also growing pressure to overcome monotny and the tempo conflicts between man and the machine. Because we have put ourselves in our own zoo, we find it difficult to break out. Since people can't fight institutions on which their lives depend, the result is that first they unconsciously turn their anger inward then later outward. |...]

The cultural and psychological insight that is important for us to accept is that denying culture and obscuring the effects that it can have on human talents can be as destructive and potentially dangerous as denying evil. We must come to terms with both. [...]

We can all benefit from a deeper knowledge of what an incredible organism we really are. We can grow, swell with pride, and breathe better for having so many remarkable talents. To do so, however, we must stop ranking both people and talents and accept the fact that there are many roads to truth and no culture has a corner on the path or is better equipped than others to search for it.[...] "

 

beyondculture

 

 

Edwart T. Hall is an anthropologist, who studied particularly the "unconscious" culture that molds everyone's behavior and vision of the world : the different perception of Time and Space, and all kind of non-verbal behavior. This is really interesting, it helps you see yourself and others differently. And even if he has a scientific approach, his writing is really beautiful, poetic sometimes...

 

In The danse of life, another of his book, he compares at some point the "occidental" conception of Time, and a more "primitive" conception, like we can see in the Hopi culture, in which people experience Time as something natural, and do not associate it with money or progress, but just a rythmical element of life.

Hall says we should not rank people and cultures, but I want to say that we should learn from this way of conceiving Time, as well as a lot other aspect of lifes, closer to Nature and more respectful to it and to other human beings ...

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3 février 2013

...

 

road

I just wish I was far away sometimes...

 It's strange, I don't feel down tonight, but I feel melancholic

 Strange feeling

 

I feel like I want to cry, but I don't really know if I am sad or happy -

sad to be alone and lonely, sad to be here and to worry about adult stuff (work, money, people...)

but happy to be alone, independent, and free,

feeling that life has still so much to offer to me

 Like if what I am living right now was just a parenthesis

But isn't that life ? it's my life right now and I should enjoy it because it might end at anytime and it would be too bad...

 

I think I'm scared

I've always liked dream better, and I am dreaming my life again

But it is much easier, and much more beautiful ...

 

28 janvier 2013

Humeur du soir...

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Cet espèce de dégoût, cette boule à l'intérieur - en réaction à l'attitude des gens, à leur manière d'être avec les autres...

       Les gens trop fiers

       Les gens trop négligents

       Les gens méprisants...

Ces gens qui sont si égoïstes, qui se moquent des autres et de l'impact de leurs actions sur eux... Ces gens qui ne sont pas méchants mais aiment tellement parler d'eux-même, de leur expérience (qui peut être très intéressante par ailleurs) et sont si peu à l'écoute qu'ils pensent tout savoir mieux que toi et prétendent tout t'apprendre... Ces gens qui n'écoutent pas et ne laissent pas parler... Ces gens qui n'ont aucune empathie et ne savent pas se mettre à ta place...

Et à l'autre pôle, les gens qui s'inquiètent trop pour toi - à t'en étouffer - qui font que tu ne te sens pas libre d'avoir l'air fatigué car ils vont te poser un tas de questions...

 Suis-je trop exigeante ??

I am just tired of dealing with these people around me - trying to ignore angry and nasty people in public transportation, listening to people talk about themselves over and over, hearing people complain about their lives and telling you how things are hard for them and so easy for you, while they know nothing about your life and wouldn't listen if you talk -

This is so frustrating - and this is so sad to see how so many people are selfish and self centered

- I don't say I am not selfish myself, but I would just want people to try to care about others - at least a little bit - as they want others to care about them -

And french surely are not good about this...

Et je reviens sur ces choses - sur cette envie de partir, quitter ce pays, et aller me perdre ailleurs -  quelque part où les gens ont un esprit positif et voient le verre à moitié plein là où nous le voyons à moitié vide, voient des opportunités et des challenges, là où nous voyons des obstacles, des problèmes, des barrières infranchissables...

Je veux retrouver cette énergie positive qui m'animait l'année dernière, cet optimisme et cette confiance en moi, et dans les autres (du moins en leur possibilité d'être généreux et de manifester de l'empathie)...

Je sens que je ne peux pas m'accomplir ici - j'ai trop de barrières (et là encore je vois les barrières), barrières intérieures plus qu'autre chose - mais cet état d'esprit est contagieux et il semble que pour s'intégrer avec les gens ici il faut savoir se plaindre et tout dénigrer... Peut être que je me trompe, peut être est-ce une fausse excuse, peut être je n'ai pas rencontré les bonnes personnes -en réalité j'ai rencontré des personnes différentes, mais étonnamment elles n'étaient pas françaises, ou pas vraiment...

Le fait est qu'autant que j'aime la France, et un certain nombre qui habitent ici et ne la quitteront pas, je sens que je ne pourrai pas y être heureuse

          - du moins pas pour l'instant...

 J'ai un peu l'impression de n'adopter ici qu'une attitude - attitude un peu "clichée" : la française blasée par la France mais qui n'en montre que mieux son appartenance en la critiquant justement - et ne s'en détachera jamais (combien de français à l'étranger critiquant tout et rien, constamment et inévitablement...) J'ai observé cette attitude chez les autres, souvent assez caricaturée, et je me plaît à penser que ce n'est pas tout à fait mon cas - que je suis plus ouverte et moins "française" que les autres - mais ce n'est qu'une vue de l'esprit... à quel point peut-on se détacher de sa culture?

Et malgré tout cela j'avoue haut et fort que je suis fière d'être française pour un grand nombre de raisons, et le serai toujours - cela n'empêchant pas que je veux souvent fuir et ne peux imaginer ma vie ici ...

Il me semble que j'atteins ici une aporie, que je ne peux résoudre pour l'instant - même si cette sensation est plus complexe que ces quelques phrases et mériterait une bien meilleure explication - mais laissons-la à l'état de sensation, et ne la décortiquons pas trop scientifiquement - ceux qui ressentent la même chose comprendrons ce que je veux dire, mieux que tous les mots que je pourrais utiliser ne l'expliquerait

 

Cet article m'a mené beaucoup plus loin que je ne le prévoyais initialement... ce qui me fait grand plaisir, car j'ai simplement dit ce que j'avais sur le coeur de dire ce soir.
 Et ca fait du bien.

21 janvier 2013

"Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre" (Camus)

 

Pour expliquer le titre de mon blog, la nouvelle de Camus qui me l'a inspiré, l'"Envers et l'endroit", extrait du recueil de nouvelles qui porte le même nom, première oeuvre de Camus publiée en 1937.

Ce recueil de nouvelles, ainsi que Noces, m'ont particulièrement touché, et demeurent mes incontournables littéraires et "philosophiques" - et Camus restera l'écrivain qui m'a le plus marqué...

Il m'a permis de saisir cette dualité de notre rapport à l'existence, et d'accepter l'absurde, l'angoisse, le désespoir, comme condition nécessaire de la beauté de la vie...

 

Bref, je pense que la nouvelle parlera d'elle-même, je vous conseille en tout cas vivement les recueils - de même que d'autres oeuvres de Camus, notamment Caligula, Le mythe de Sisyphe, L'homme révolté ou encore L'Etranger (La Peste aussi, mais dans un autre esprit).

 

Bonne lecture!

 

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L'envers et l'endroit

 

    C'était une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce étroit avec les esprits, épousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnes de sa famille mal considérées dans le monde où elle se réfugiait.

   Un petit héritage lui échut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivés à la fin d'une vie, se révélèrent assez encombrants. II fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir d'une grosse fortune, la difficulté commence quand la somme est petite. Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s'offrait à elle. Au cimetière de sa ville, une concession venait d'expirer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu'on lui laissait pour la somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C'était là une valeur sûre, à l'abri des fluctuations boursières et des événements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en capitales d'or.

   Cette affaire la contenta si profondément qu'elle fut prise d'un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrès des travaux. Elle finit par se rendre visite tous les dimanches après-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction. Vers deux heures de l'après-midi, elle faisait le long trajet qui l'amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetière. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s'agenouillait sur le prie- Dieu. C'est ainsi que, mise en présence d'elle-même, confrontant ce qu'elle était et ce qu'elle devait être, retrouvant l'anneau d'une chaîne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit même un jour qu'elle était morte aux yeux du monde. A la Toussaint, arrivée plus tard que d'habitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonché de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissée sans fleurs, avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même.

    Et voici que je reviens sur ces choses. Ce jardin de l'autre côté de la fenêtre, je n'en vois que les murs. Et ces quelques feuillages où coule la lumière. Plus haut, c'est encore les feuillages. Plus haut, c' est le soleil. Mais de toute cette jubilation de l'air que l'on sent au-dehors, de toute cette joie épandue sur le monde, je ne perçois que des ombres de ramures qui jouent sur mes rideaux blancs. Cinq rayons de soleil aussi qui déversent patiemment dans la pièce un parfum d'herbes séchées. Une brise, et les ombres s'animent sur le rideau. Qu'un nuage couvre puis découvre le soleil, et de l'ombre émerge le jaune éclatant de ce vase de mimosas. Il suflit : une seule lueur naissante, me voilà rempli d'une joie confuse et étourdissante. C'est un après-midi de janvier qui me met ainsi en face de l'envers du monde. Mais le froid reste au fond de l'air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l'ongle, mais qui revêt toutes choses d'un éternel sourire. Qui suis-je et que puis-je faire, sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière ? Être ce rayon où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l'air. Si j'essaie de m'atteindre, c'est tout au fond de cette lumière. Et si je tense de comprendre et de savourer cette délicate saveur qui livre le secret du monde, c'est moi-même que je trouve au fond de l'univers. Moi-même, c'est-a-dire cette extrême émotion qui me délivre du décor.

    Tout à l'heure, d'autres choses, les hommes et les tombes qu'ils achètent. Mais laissez-moi découper cette minute dans l'étoffe du temps. D'autres laissent une fleur entre des pages, y enferment une promenade où l'amour les a effleurés. Moi aussi, je me promène, mais c'est un dieu qui me caresse. La vie est course et c'est péché de perdre son temps. Je suis actif, dit-on. Mais être actif, c'est encore perdre son temps, dans la mesure où l'on se perd. Aujourd'hui est une halte et mon cœur s'en va à la rencontre de lui-même. Si une angoisse encore m'étreint, c'est de sentir cet impalpable instant glisser entre mes doigts comme les perles du mercure. Laissez donc ceux qui veulent tourner le dos au monde. Je ne me plains pas puisque je me regarde naître. A cette heure, tout mon royaume est de ce monde. Ce soleil et ces ombres, cette chaleur et ce froid qui vient du fond de l'air: vais-je me demander si quelque chose meurt et si les hommes souffrent puisque tout est écrit dans cette fenêtre où le ciel déverse la plénitude à la rencontre de ma pitié. Je peux dire et je dirai tout à l'heure que ce qui compte c'est d'être humain et simple. Non, ce qui compte, c'est d'être vrai et alors tout s'y inscrit, l'humanité et la simplicité. Et quand donc suis-je plus vrai que lorsque je suis le monde ? Je suis comblé avant d'avoir désiré. L'éternité est là et moi je l'espérais. Ce n'est plus d'être heureux que je souhaite maintenant, mais seulement d'être conscient.

    Un homme contemple et l'autre creuse son tombeau : comment les séparer ? Les hommes et leur absurdité ? Mais voici le sourire du ciel. La lumière se gonfle et c'est bientôt l'été ? Mais voici les yeux et la voix de ceux qu'il faut aimer. Je tiens au monde par tous mes gestes, aux hommes par toute ma pitié et ma reconnaissance. Entre cet endroit et cet envers du monde, je ne veux pas choisir, je n'aime pas qu'on choisisse. Les gens ne veulent pas qu'on soit lucide et ironique. Ils disent : "ca montre que vous n'êtes pas bon". Je ne vois pas le rapport. Certes, si j'entends dire à l'un qu'il est immoraliste, je traduis qu'il a besoin de se donner une morale; à l'autre qu'il méprise l'intelligence, je comprends qu'il ne peut pas supporter ses doutes. Mais parce que je n'aime pas qu'on triche. Le grand courage, c'est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort. Au reste, comment dire le lien qui mène de cet amour dévorant de la vie à ce désespoir secret. Si j'écoute l'ironie, tapie au fond des choses, elle se découvre lentement. Clignant son œil petit et clair : "Vivez comme si..." , dit-elle. Malgré bien des recherches, c'est là toute ma science.

    Après tout, je ne suis pas sûr d'avoir raison. Mais ce n'est pas l'important si je pense à cette femme dont on me racontait l'histoire. Elle allait mourir et sa fille l'habilla pour la tombe pendant qu'elle était vivante. I1 paraît en effet que la chose est plus facile quand les membres ne sont pas raides. Mais c'est curieux tout de même comme nous vivons parmi des gens pressés.


Albert Camus

21 janvier 2013

Parce que toutes bonnes choses ont un début...

 

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 Je ressens le besoin d’écrire, autre chose que des rapports, dissertations, compte-rendus et autres - tout comme de lire autre chose que des livres de didactique ou des articles de phonétique ou même de courts romans divertissants - et regarder autre chose que des séries américaines distrayantes...

J'ai décidé de prendre le temps de laisser mon imagination travailler, d’être créative un peu - sans aucune ambition d’inventivité formidable. J’ai peur de me perdre dans ce travail scolaire, de me formater complètement à la “méthode” universitaire, puisque cela m’est si facile, et perdre finalement l’essence des choses, et ce qui fait la beauté de l’existence - l’art - l’imagination - le rêve …

 

Donc j’ai créé ce blog - projet que j’avais depuis le début de l’année, mais que je ne suis pas parvenu à mettre en oeuvre …

 

Nouvelle résolution alors?

                                            écrire un peu sans but précis, écrire juste pour écrire et laisser ma pensée divaguer, écrire pour partager mes découvertes littéraires - ou partager simplement mes pensées, que j’ai du mal à exprimer en temps réel (c'est à dire dans le courant de la parole spontanée)...

 

 

J’aimerais me donner un programme, une tâche : écrire un article par semaine au moins car j’ai peur d’abandonner trop vite, de ne pas prendre le temps... mais en même temps je n’ai pas envie d’être contrainte... et je sais que ça ne servirait à rien, je trouverai toujours des bonnes excuses, qui seront très bonnes d’ailleurs c’est pour ça que je sais que je ne m’y tiendrai pas -

Le mieux que je puisse faire est promettre d’essayer- me promettre à moi-même plus qu’à qui que ce soit...

 

 

 

                                    Faire AUTRE CHOSE , voilà mon but cette année : oui la fac c’est important, le boulot c’est important , la vie sociale c’est important  - mais il faut faire AUTRE CHOSE

pour ne pas se perdre...

 

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